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La dernière heure est cachée

 

Cette série de dix travaux explore, à travers le prisme de la fragilité humaine et des vanités, des réflexions sur la mort, la condition humaine et la quête de sens face à l'inéluctable. Elle s’inspire notamment du Sermon sur la mort de Bossuet ainsi que de gravures baroques représentant des vanités afin de développer une approche contemporaine à ce questionnement intemporel.

Entre contemplation et effroi, la vanité est une allégorie de la précarité de l’existence. On y voit des crânes, des fleurs fanées, des bougies vacillantes et des objets éphémères. Ces éléments soulignent la nature passagère de la vie, l’inévitabilité de la mort, et la fragilité de l’homme face au destin. Cette tradition visuelle, héritée de la pensée chrétienne et des Memento Mori, rappelle que tout finit en poussière et que notre destin commun est à la fois macabre et inexorable.

Cette série invoque ce cheminement vers l’inconnu. Tous, croyants ou non, avançons vers la même fin, certains avec crainte, d'autres avec extase. Empli de références spirituelles, philosophiques et poétiques, cet ensemble est propice à la contemplation de l’éternité que l’homme, souvent, tente de repousser ou d’ignorer.

Chaque pièce joue sur les oppositions : luxe et dépouillement, lumière et obscurité, vie et désintégration.

Le travail central s’appuie sur le Sermon sur la Mort de Bossuet, prononcé devant Louis XIV et sa cour en 1662. Ce discours marqua alors les esprits par sa force oratoire et son rappel implacable de l’égalité des hommes face à la mort. Les grands de ce monde, malgré leurs richesses et leur pouvoir, finissent comme tous les autres : poussière et oubli. Bossuet déconstruit les illusions humaines, montrant que le bonheur terrestre n’est qu’une fausse consolation.

Les extraits marquants du sermon se retrouvent dans les travaux comme autant d’échos de la pensée baroque : « Il n'y aura sur la Terre aucun vestige de ce que nous sommes. », « Ce dernier moment efface d'un seul trait toute votre vie. » « Qu’est-ce donc que ma substance, ô grand Dieu ? »

La série inclut dix travaux qui, chacun à leur manière, matérialisent ce questionnement, se répondant les uns les autres. Chaque calligramme invite à la contemplation, non comme un exercice morbide, mais comme une ouverture à l’introspection et à une nouvelle forme de spiritualité contemporaine.

1/10 : Mépris de la vie et consolation contre la mort, Jean-Baptiste Chassignet, sonnet CXXV, 1594.

2/10 : Les névroses, Maurice Rollinat, 1883. Image : Memento Mori, Hendrick Hondius, 1626
 

3/10 : Texte : Office des morts, Maurice Chappaz, 1963. Image : Allégorie de la mort, Raphaël Sadeler, 1617

4/10 : Texte : Sonnets sur la mort, Jean de Sponde, 1588. Image : Un crâne, un squelette, bougies et autres symboles de mortalité,Gerhart Altzenbach, 1673

5/10 : Texte : Stances, Agrippa d'Aubigné, 1874. Image : Anatomie per uso e Itelligenza del Disegno, Bernardino Genga, 1691.

6/10 : Texte : Danse macabre. Image : Danse macabre.

7/10 : Texte : Sermons sur la mort, Bossuet, 1662. Image : Allégorie de la mort, Hiéronymus Wierix.

8/10 : Texte : La mort, Théophile Gautier, 1838. Image : La mort emportant un enfant sur son dos, Stefano Della Bella, 1648.

9/10 : Texte : Le miroir qui ne flatte pas, Jean Puget de la Serre, 1632. Image : Le miroir qui ne flatte pas, 1639.

10/10 : Texte : La bonne mort, Saint Alphonse de Liguori, 1780. Image : Memento Mori, Anonyme, 1605.

Texte : Mépris de la vie et consolation contre la mort, Jean-Baptiste Chassignet, 1594

Image : Allégorie de la mort, Anonyme, 1600

Octobre 2020

Encre noire sur papier Lana filigrané "le zèle de votre maison me dévore"

45 x 55 cm

Jean-Baptiste Chassignet

Mortel, pense quel est dessous la couverture

Mortel, pense quel est dessous la couverture

D'un charnier mortuaire un corps mangé de vers,

Décharné, dénervé, où les os découverts,

Dépulpés, dénoués, délaissent leur jointure ;

Ici l'une des mains tombe de pourriture,

Les yeux d'autre côté détournés à l'envers

Se distillent en glaire, et les muscles divers

Servent aux vers goulus d'ordinaire pâture ;

Le ventre déchiré cornant de puanteur

Infecte l'air voisin de mauvaise senteur,

Et le nez mi-rongé déforme le visage ;

Puis connaissant l'état de ta fragilité,

Fonde en Dieu seulement, estimant vanité

Tout ce qui ne te rend plus savant et plus sage.

​​

Mépris de la vie et consolation contre la mort

sonnet CXXV, 1594.

Les névroses, Maurice Rollinat, 1883

Image : Memento Mori, Hendrick Hondius, 1626

Août 2023

Encre noire sur papier Lana filigrané "le zèle de votre maison me dévore", 45 x 55 cm.

Le silence des morts

On scrute leur portrait, espérant qu’il en sorte

Un cri qui puisse enfin nous servir de flambeau.

Ah ! si même ils venaient pleurer à notre porte

Lorsque le soir étend ses ailes de corbeau !

Non ! Mieux que le linceul, la bière et le tombeau

Le silence revêt ceux que le temps emporte :

L’âme en fuyant nous laisse un horrible lambeau

Et ne nous connaît plus dès que la chair est morte.

Pourtant, que d’appels fous, longs et désespérés,

Nous poussons jour et nuit vers tous nos enterrés !

Quels flots de questions coulent avec nos larmes !

Mais toujours, à travers ses plaintes, ses remords,

Ses prières, ses deuils, ses spleens et ses alarmes,

L’homme attend vainement la réponse des morts.

​​

Les Névroses, 1883

Texte : Office des morts, Maurice Chappaz, 1963

Image : Allégorie de la mort, Raphaël Sadeler, 1617

Août 2023

Encre noire sur papier Lana filigrané "le zèle de votre maison me dévore", 45 x 55 cm

Texte : Sonnets sur la mort, Jean de Sponde, 1588.

Image : Un crâne, un squelette, bougies et autres symboles de mortalité, Gerhart Altzenbach,1673

Août 2023

Encre noire sur papier Lana filigrané "le zèle de votre maison me dévore", 45 x 55 cm

Mais si faut-il mourir

Mais si faut-il mourir, & la vie orgueilleuse,

Qui brave de la mort, sentira ses fureurs,

Les Soleils haleront ces journalieres fleurs,

Et le temps crevera ceste ampoule venteuse.

Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse,

Sur le verd de la cire esteindra ses ardeurs

L’huile de ce Tableau ternira ses couleurs,

Et ses flots se rompront à la rive escumeuse.

J’ai veu ces clairs esclairs passer devant mes yeux,

Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux,

Ou d’une ou d’autre part esclatera l’orage.

J’ay veu fondre la neige, & ces torrents tarir,

Ces lyons rugissants, je les ay vus sans rage,

Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir.

Sonnets sur la mort

1588

Texte : Stances, Agrippa d'Aubigné, 1874.

Image : Anatomie per uso e Itelligenza del Disegno, Bernardino Genga, 1691.

Août 2023

Encre noire sur papier Lana filigrané "le zèle de votre maison me dévore"

, 45 x 55 cm

Quiconque sur les os

Quiconque sur les os des tombeaux effroiables

 Verra le triste amant, les restes miserables

 D’un cueur seché d’amour & l’immobile corps

 Qui par son ame morte est mis entre les morts,

Qu’il deplore le sort d’un ame à soy contraire,

Qui pour ung autre corps à son cors adversaire

Me laisse exanimé sans vye & sans mourir,

Me faict aux noirs tombeaux aprés elle courir.

Demons qui frequentez des sepulchres la lame,

Aidez moy, dites moy nouvelles de mon ame,

Ou montrez moy les os qu’elle suit adorant

De la morte amytié qui n’est morte en mourant.

Stances

1874

Texte : Danse macabre.

Image : Danse macabre.

Août 2023

Encre noire sur papier Lana filigrané "le zèle de votre maison me dévore", 45 x 55 cm

Danse macabre

ou l’Empire de la mort

sur tous les états de la vie humaine

O créature raisonnable

Qui désires vie éternelle

Tu as cy doctrine notable

Pour bien finer vie mortelle

La dance macabre sappelle

Que chascun a dancer aprent

A homme et femme est naturelle

Mort nespergne petit ne grand.

En ce mirouer chascun peut lire

Qui li conuient ainsi dancer

Saige est cellui qui bien si mire

Le mort le vif fait auancer

 

Tu vois les plus grans commencer

Car il nest nul que mort ne fiere

Cest piteuse chose y penser

Tout est forge dune matiere.

Anonyme

1491

Texte : Sermons sur la mort, Bossuet, 1662.

Image : Allégorie de la mort, Hiéronymus Wierix.

Août 2023

Encre noire sur papier Lana filigrané "le zèle de votre maison me dévore", 45 x 55 cm

Sermon sur la mort

C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous côtés et en mille formes diverses. On n’entend dans les funérailles que des paroles d’étonnement de ce que ce mortel est mort. Chacun rappelle en son souvenir depuis quel temps il lui a parlé et de quoi le défunt l’a entretenu ; et tout d’un coup il est mort. Voilà, dit-on, ce que c’est que l’homme ! Et celui qui le dit, c’est un homme ; et cet homme ne s’applique rien, oublieux de sa destinée ! ou s’il passe dans son esprit quelque désir volage de s’y préparer, il dissipe bientôt ces noires idées ; et je puis dire, messieurs, que les mortels n’ont pas moins de soin d’ensevelir les pensées de la mort que d’enterrer les morts mêmes. (...)

Entre toutes les passions de l’esprit humain, l’une des plus violentes, c’est le désir de savoir ; et cette curiosité fait qu’il épuise ses forces pour trouver ou quelque secret inouï dans l’ordre de la nature, ou quelque adresse inconnue dans les ouvrages de l’art, ou quelque raffinement inusité dans la conduite des affaires. Mais, parmi ces vastes désirs d’enrichir notre entendement par des connaissances nouvelles, la même chose nous arrive qu’à ceux qui, jetant bien loin leurs regards, ne remarquent pas les objets qui les environnent : je veux dire que notre esprit, s’étendant par de grands efforts sur des choses fort éloignées, et parcourant, pour ainsi dire, le ciel et la terre, passe cependant si légèrement sur ce qui se présente à lui de plus près, que nous consumons toute notre vie toujours ignorants de ce qui nous touche ; et non seulement de ce qui nous touche, mais encore de ce que nous sommes. (...)

Ô mort, nous te rendons grâces des lumières que tu répands sur notre ignorance : toi seule nous convaincs de notre bassesse, toi seule nous fais connaître notre dignité : si l’homme s’estime trop, tu sais déprimer son orgueil ; si l’homme se méprise trop, tu sais relever son courage ; et, pour réduire toutes ses pensées à un juste tempérament, tu lui apprends ces deux vérités qui lui ouvrent les yeux pour se bien connaître : qu’il est méprisable en tant qu’il passe ; et infiniment estimable en tant qu’il aboutit à l’éternité. Et ces deux importantes considérations feront le sujet de ce discours.

1662

Texte : La mort, Théophile Gautier, 1838.

Image : La mort emportant un enfant sur son dos, Stefano Della Bella, 1648.

Août 2023

Encre noire sur papier Lana filigrané "le zèle de votre maison me dévore", 45 x 55 cm

La mort dans la vie

Cessez donc, cessez donc, ô vous, les jeunes mères

Berçant vos fils aux bras des riantes chimères,



De leur rêver un sort ;

Filez-leur un suaire avec le lin des langes.

Vos fils, fussent-ils purs et beaux comme les anges,



Sont condamnés à mort !

La Comédie de la Mort

1838

Texte : Le miroir qui ne flatte pas, Jean Puget de la Serre, 1632.

Image : Le miroir qui ne flatte pas, 1639.

Août 2023

Encre noire sur papier Lana filigrané "le zèle de votre maison me dévore", 45 x 55 cm

Texte : La bonne mort, Saint Alphonse de Liguori, 1780.

Image : Memento Mori, Anonyme, 1605.

Août 2023

Encre noire sur papier Lana filigrané "le zèle de votre maison me dévore", 45 x 55 cm

Saint Alphonse de Liguori

La bonne mort

« Ô Jésus, mon Rédempteur, soyez béni de ne m'avoir pas fait mourir, quand je me trouvais dans Votre disgrâce ! Depuis combien d'années ne devrais-je pas souffrir au fond des enfers ? Ah ! Seigneur, quelles actions de grâces je Vous rends ! Afin d'expier mes péchés, j'accepte ma mort; et je l'accepte telle qu'il Vous plaira de me l'envoyer. Mais, puisque Vous m'avez attendu jusqu'à cette heure, attendez-moi encore un peu. « Laissez-moi, un moment, donner libre cours à ma douleur » (Job 10, 20). Oui, avant que Vous ayez à me juger, donnez-moi le temps de pleurer les offenses dont je me suis rendu coupable envers Vous. Je ne veux plus résister à Votre choix. Et qui sait, si, dans cette méditation., Vous ne venez pas de m'adresser Votre dernier appel ? Je ne mérite point de pitié, je l'avoue, moi qui tant de fois ai reçu mon pardon et qui tant de fois ensuite me suis montré si ingrat en recommençant à Vous offenser.

 

Mais, « Seigneur, Vous ne méprisez jamais un cœur contrit et humilié » (Psaume 50, 19). Puisqu'il en est ainsi, voici un pécheur, un traître qui vient, poussé par

le repentir, se jeter à Vos pieds. « De Grâce, ne me rejetez pas de devant Vous ». Vous l'avez dit Vous-même: « Je ne rejetterai pas celui qui vient à moi » (Jean 6, 37). A la vérité, je suis plus coupable que les autres ; car plus que les autres, j'ai été favorisé de Vos lumières et de Vos grâces. Mais le Sang que vous avez répandu pour moi m'encourage, et, en échange de mon repentir, Il m'offre mon pardon.

Oui, ô mon souverain Bien, je me repens de Vous avoir méprisé ; je m'en repens de tout mon cœur. Pardonnez-moi et accordez-moi la Grâce de Vous aimer à l'avenir. Je ne Vous ai que trop outragé jusqu'ici. Les années qui me restent à vivre ne seront plus comme autrefois de malheureuses années de péché. Je veux, ô mon Jésus, les employer uniquement à pleurer sans cesse les déplaisirs que je Vous ai causés et à Vous aimer de tout mon cœur, ô Dieu, digne d'un Amour infini. »

Apparecchio alla morte, volume IX

1780

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